La Chair du Temps, c’est l’histoire d’un vol : le vol
de la mémoire et des souvenirs. L’auteur, Belinda Cannone, découvre les traces d’un
cambriolage en rentrant dans sa maison des champs. Outre l’absence du lecteur
DVD et l’ordinateur, elle constate la disparition de ses malles contenant ses
journaux intimes, écrits depuis l’âge de douze ans, ses photos et sa correspondance. Sur
ce vol, aucune piste. Elle commence alors ce journal extime, tentant de comprendre.
Dans ce livre, outre le questionnement
de la blessure infligée par le vol, nous suivons le processus de création.
Lorsqu’elle entame ce journal, Belinda Cannone ne sait pas encore ce qu’il
deviendra ; elle ne conçoit ni sa forme, ni sa valeur, ni encore son
destin : « Je ne sais ce que je suis en train de faire. Me
consoler, certainement. » Très vite, il devient exploration intime,
et universelle, car l’autrice cherche toujours à faire jaillir de son
expérience et surtout de ses fictions les mouvements universels de l’humain :
« Je voulais évoquer mes carnets comme lent dépôts de l’histoire individuelle, et dire que la culture de soi manifestée par le journal n’avais jamais empêché que je puisse me tenir dans cette zone des « secrets communs » où je rejoins l’humanité même. »
Le journal devient alors une
interrogation sur la mémoire : « Ce que je fais aussi, peut-être, en
écrivant ces pages : comprendre comment le temps nous traverse. Comprendre
en quoi nous sommes faits de la chair du temps, c’est-à-dire de mémoire. »
Il explore et sonde donc la mémoire, la manière de la fixer, son rôle dans
notre constitution psychique. L’autrice questionne sa mémoire infidèle : « Ma
mémoire, elle, n’est guère plus certaine qu’un songe. » Elle, pour qui la
mémoire s’efface, se dérobe, la perte de ces journaux intimes et
journaux-laboratoires représente la perte d’elle-même : « l’effacement
de ma vie, c’est-à-dire du récit de la construction de l’individu Belinda ».
Le journal extime serait-il donc un objet de consolation ? La consolation
signifierait l’apaisement de la douleur, la réparation de la blessure par une
substitution. Comment substituer tant d’années de vie et de travail ?
Opération impossible. Elle doit alors entamer un processus de deuil. Il faut
faire le deuil de son passé, de ses souvenirs, dont ne restera plus que des
images floues, imprécises. Au début du journal, elle déclare : « Etre
la même et une autre : ce qui arrive lorsqu’un deuil nous frappe », entamant
par l’écriture, un retour vers la vie. Car, ce qui la pousse à faire le deuil,
c’est bien son désir de vie si fort. Tout bon écrit est avant tout un
combat contre les forces de la mort. Elle conclut :
« Mais rien ne peut m’empêcher, sauf à être mourante, de ressentir encore le désir de vivre, désir d’user de ma lunette astronomique et de mon microscope pour scruter le monde, d’être dans l’invention de demain, dans la danse. »
Et nous l’en remercions !
Belinda Cannone, La Chair du Temps, Stock
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