Gabrielle, baignée dans un
univers urbain, de l’apparence, où seul prime le visible et le tangible,
découvre ses origines, quelque peu déroutantes : issue d’une famille de
sorcières, elle hérite d’un terrain, à la campagne, transmise par une vieille
tante. Elle souhaite vendre ce terrain qui ne représente qu’un passé inconnu,
mais ce ne sera pas si simple. Le terrain, où deux maisons pleines d’esprits
teintent les lieux d’étrangeté, est victime de la superstition des habitants.
Il ne sera donc pas simple de trouver un acheteur. La dichotomie des deux
demeures met en scène le combat entre le bien et le mal : l’une, petite
maison de campagne simple et riante, l’autre grand manoir sombre et maléfique. L’agent
immobilier qui vient au secours de cette femme perdue dans un monde qu’elle ne
connait pas est aussi une figure du changement réussi, d’un retour aux valeurs
de proximité, d’humanité et un retour à la nature à la fois écologique et
humaine. Sur le chemin qui la renvoie vers Paris, chemin qu’elle refera de très
nombreuse fois, elle fait une expérience qui bouleverse sa vie et ses convictions.
Lors d’un accident de voiture, qui se déroule devant elle, elle apporte son
aide aux victimes : en posant ses mains au-dessus des corps des victimes, elle
les soulage de leur douleur. Puis se déplaçant vers les mourants, elle les accompagne
dans le chemin de leur mort, leur apportant réconfort. Cette expérience
déterminera son parcours futur.
Au chant de la
rivière de la forêt des Brumes, Gabrielle se laisse aller à sa magie
intérieure, et le lecteur se plaît à se tourner vers sa propre part de magie,
de sorcellerie intime. Notre monde manque cruellement de cette magie, de la
beauté de l’inattendue et de l’incompréhensible. L’incompréhensible crée angoisse,
comme s’il nous plongeait dans l’obscurantisme. Mais quelle bonheur de
retrouver la musique lancinante de nos capacités d’imagination. Il n’est plus
question d’y croire mais de se donner accès au merveilleux du monde. Les Brumes de l’apparence nous prend par
la main pour découvrir, en même temps que l’héroïne, notre forêt extérieure et
intérieure.
Les Brumes de l’apparence montre le chemin vers l’acceptation de
soi, du soi intérieur et intime, ainsi que de la part de l’inattendu et de
l’indicible du monde. Et le lecteur suit cette libération et se libère lui-même
de ses préjugés. Le topoï de la femme
sorcière qui retourne à un état primaire, qui ouvre la brèche qui permet à la
magie de se libérer. La féminité revendiquée par cet aspect inexplicable aurait
pu tomber dans le cliché, mais Frédérique Deghelt évite de justesse cet écueil.
Malgré quelques facilités, dans les événements qui nous paraissent parfois un
peu invraisemblable, l’autrice nous permet d’accéder à un monde nouveau et de
réfléchir sur notre perception du monde. La beauté du monde s’insinue dans le
corps et l’esprit, et teinte tout l’univers visible et invisible. Seule la
partie autour de l’ancêtre maléfique laisse quelque peu dubitatif.
Non-nécessaire, cette partie tire le reste du texte dans le cliché, que
l’autrice avait su éviter.
Nous
retiendrons la libération féminine dont l’éveil au monde lui permet de sortir
du carcan du monde phallocentré et frustrateur. Le mari de l’héroïne, être
proprement abject, image le monde de l’apparence. Chirurgien esthétique, il ne peut
concevoir un autre monde que le sien : la féminité fait partie des mondes
qu’il n’appréhende pas, qu’il oublie volontairement, qu’il nie pour mieux se
hisser au premier rang. La libération des sens est une libération intime de la
féminité.
Un
roman où la merveille nous émerveille et allumeras des lucioles dans votre
monde !
Les Brumes de l’apparence, Frédérique Deghelt
Actes Sud, Babel
Juin 2015
8,80 €
3 commentaires:
Roman inoubliable, formidable....
J'ai vu ce livre dans ma libraire et j'ai hésité à me l'acheter. Ta chronique m'a convaincue, je l'ajoute à ma wish-list !
Ravie de t'avoir convaincue ! C'est vraiment un excellent roman, un des meilleurs de l'année 2015 pour moi.
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