2 septembre 2016

Désorientale de Négar Djavadi

COUP DE FOUDRE de la rentrée littéraire !

            Désorientale est un roman passionnant, envoûtant, frissonnant, ahurissant… Bref, une fois commencé, on ne peut plus le lâcher.

            Ce premier roman de Négar Djavadi nous conte l’histoire d’une famille iranienne. A partir du récit de la narratrice, nous traversons, telle une véritable saga, l’histoire de trois générations, principalement centrée autour des femmes de la famille. Quand le roman début, la narratrice est installée dans la salle d’attente d’une clinique. Afin de nous expliquer ce qui l’a amené ici à ce moment précis, elle nous raconte l’histoire de sa famille, à grands coups de digressions, flash-backs, et autres jeux temporels. Nous sommes emportés, tels des poupées de chiffons dans le grand tourbillon de l’Histoire, comme la famille Sadr elle-même.




            La force de ce récit passe par cette prise en charge du lecteur, que la narratrice prend par la main, lui faisant vivre avec violence son histoire, tout en ne l’oubliant pas sur le bord de la route (on notera avec plaisir les apostrophes de la narratrice à l’égard de son lecteur).

            Mais sa force est aussi contenue dans les thématiques développées tout au long du récit et qui forment des fils tracés dans le temps fictionnel et dans le temps de la lecture : l’histoire familiale et la prise d’une vie individuelle dans l’Histoire commune, le questionnement autour du statut de la femme, la question de l’intégration et de la désintégration, très à la dernière thématique : la quête identitaire de la narratrice.

La vie de la famille Sadr est constamment prise dans l’histoire de l’Iran. Les parents de la jeune Kimiâ, narratrice du roman, s’oppose violemment au pouvoir politique. A travers la famille, c’est un autre visage de l’Iran que Négar Djavadi nous fait découvrir. Elle connaît les préjugés du lecteur, puisqu’elle s’inspire de sa propre existence. Et c’est non sans humour qu’elle nous met devant nos clichés :

« Là, je peux lire l’étonnement dans vos yeux : les Iraniens connaissaient Columbo ?! Dites-vous qu’à partir du moment où les Etats-Unis mettent une main autoritaire sur la politique d’un pays, de l’autre ils lui fourguent toute sorte de produits militaires, industriels, culturels ou alimentaires. Ce n’est pas de la rigolade l’impérialisme ! » (p.103)

A travers ce genre de remarques, que l’on impute soit à la narratrice soit à l’auteur, le lecteur prend de la distance par rapport à ce qu’il croit savoir de l’Orient. Et découvre aussi, toutes les manigances occidentales qui ont aidé à plonger l’Iran dans son état actuel.

            Cette histoire est surtout une histoire de femmes. Car la narratrice donne la parole et raconte l’histoire des femmes de sa famille. De la grand-mère, Nour, à Kimiâ, en passant par la mère, et les sœurs, la narratrice questionne le statut de la femme dans la société iranienne, mais plus tard dans la société française. Ainsi, la maternité, qui est un des sujets centraux de cette réflexion, semble être un passage obligatoire pour toutes les femmes :


« A peine cette déduction a-t-elle traversé mon esprit que je songe à une réflexion de Sara au sujet d’un couple de voisins, les Hayavi, mariés de longue date, mais sans enfant. « Bien sûr que c’est lui qui est stérile. Si c’était elle, il aurait divorcé depuis longtemps ! » Voilà toute la condition de la femme iranienne esquissée en deux phrases. » (p.70).

            Mais très vite, une question se pose autour de cette question de la féminité. Car petit à petit, l’on découvre que la jeune narratrice se distingue de ses sœurs. Par ce que son père et sa grand-mère maternelle attendaient un garçon, Kimiâ se retrouve dans un entre-deux identitaires, entre fille et garçon. Un entre-deux originel, que la famille explique soit par la religion (la grand-mère paternelle meurt au moment de sa naissance et transforme le garçon à naître en une fille) ou socialement (le père ayant tellement envie d’un garçon éduque sa fille comme un homme).

« Personne ne sait comment élever l’entre-deux,  se dépatouiller avec l’à-peu-près. » (p.219).

            Cet entre-deux existentiel va se concrétiser davantage encore lorsque la famille, menacée par le pouvoir en place, se voit obliger de quitter l’Iran pour la France. Francophiles, il ne se sente pas totalement étranger. Le traitement de l’intégration m’a paru tout à fait juste, et souligne la difficulté de l’immigration, peu importe ce que l’on en dit :

« Cette cicatrice qui traverse mon vocabulaire est ma seule coquetterie, mon unique résistance face à, disons, mes efforts d’intégration. J’emploie cette expression par commodité, parce qu’elle vous parle, même si, biberonnée dès l’enfance à la culture française, je ne me sens pas concernée par le sens qu’elle véhicule. D’ailleurs puisque nous en parlons, je trouve qu’elle manque de sincérité et de franchise. Car pour s’intégrer à une culture, il faut, je vous le certifie, se désintégrer d’abord, du moins partiellement, de la sienne. Se désunir, se désagréger, se dissocier. Tous ceux qui appellent les immigrés à faire des « efforts d’intégration » n’osent pas les regarder en face pour leur demander de commencer par faire ces nécessaires « efforts de désintégration ». Ils exigent d’eux d’arriver en haut de la montagne sans passer par l’ascension. » (p.114).

« Croyez-moi, personne ne rate l’étranger. […] La langue est assurément le moyen le plus facile de le coincer de l’enserrer jusqu’à ce que sa façade de normalité acquise de longue lutte craquelle et pendouille sur son corps embarrassé. » (p.120).

            Ce roman est donc proprement captivant. Il nous découvre l’Histoire iranienne, ses traditions, ses conflits politiques. Mais j’ai apprécié que l’auteur ne se laisse pas aller au récit historique. Seules les notes (que le lecteur a la liberté de ne pas lire) s’inscrivent dans une approche historique. La famille Sadr traverse l’histoire, et c’est par ses yeux, ses gestes, ses engagements que nous appréhendons les conflits. Négar Djavadi a réussi à redonner vie à l’Histoire de son pays, pour nous faire comprendre ses ravages sur la vie des habitants.

            Un roman à ne surtout pas manquer !





Désorientale, Négar Djavadi, Liana Lévi





Aucun commentaire: