Voici un texte qui me paraît
éclairer notre présent. Nous avons oublié les enseignements ultérieurs, qui ont
été révolutionnaire en leur temps. Aujourd’hui, ces sagesses peuvent nous aider
à réfléchir notre présent, tout en remettant toujours en question les
enseignements, ne pas se laisser aux préjugés et au traditionalisme. La
Mettrie, philosophe du XVIIIe siècle, est un matérialiste athée, deux
conceptions qui vont très souvent de pair. Ce sont les dernières pages de L’Homme-machine, son plus grand essai et
le plus polémique. Dans cet extrait, il montre comment grâce à la raison et à l’expérience,
la Loi naturelle apparaît comme la plus encline à mener l’homme au bonheur. Son
énoncé le plus polémique est que l’homme est fondu dans la même matière que l’animal,
mais que cette matière a été différemment modifiée. De cette conception, surgit
un respect pour la Nature, et pour toute forme de vie. Voici l’extrait :
« Qui
pensera ainsi sera sage, juste tranquille sur son sort, et par conséquent
heureux. Il attendra la mort sans la craindre ni la désirer, et chérissant la
vie, comprenant à peine comment le dégoût vient corrompre un cœur dans ce lieu
plein de délices ; plein de respect pour la Nature ; plein de
reconnaissance, d’attachement et de tendresse, à proportion du sentiment et des
bienfaits qu’il en a reçus, heureux enfin de la sentir et d’être au charmant
spectacle de l’Univers, il ne la détruira certainement jamais dans soi ni dans
les autres. Que dis-je ! plein d’humanité, il en aimera le caractère
jusque dans ses ennemis. Jugez comme il traitera les autres. Il plaindra les
vicieux, sans les haïr ; ce ne seront à ses yeux que des hommes
contrefaits. Mais en faisant grâce corps, il n’en admirera pas moins leurs
beautés et leurs vertus. Ceux que la Nature aura favorisés, lui paraîtront
mériter plus d’égards que ceux qu’elle aura traités en marâtre. C’est ainsi qu’on
a vu que les dons naturels, la source de tout ce qui s’acquiert, trouvent dans
la bouche et le cœur du matérialiste des hommages que tout autre leur refuse
injustement. Enfin le matérialiste convaincu, quoi que murmure sa propre
vanité, qu’il n’est qu’une machine ou qu’un animal, ne maltraitera points ses
semblables, trop instruit sur la nature de ces actions, dont l’inhumanité est toujours
proportionnée au degré d’analogie prouvée ci-devant, et ne voulant pas en un
mot, suivant la Loi naturelle donnée à tous les animaux, faire à autrui ce qu’il
ne voudrait pas qu’il lui fît.
Concluons
donc hardiment que l’Homme est une Machine, et qu’il n’y a dans tout l’Univers
qu’une seule substance diversement modifiée. Ce n’est point ici une hypothèse
élevée à force de demandes et de suppositions : ce n’est point l’ouvrage
du préjugé, ni même de ma raison seule ; j’eusse dédaigné un guide que je
crois si peu sûr, si mes sens portant, pour ainsi dire, le flambeau, ne m’eussent
engagé à la suivre, en l’éclairant. L’expérience m’a donc parlé pour la raison ;
c’est ainsi que je les ai jointes ensemble.
Mais
on a dû voir que je ne me suis permis le raisonnement le plus vigoureux et le
plus immédiatement tiré, qu’à la suite d’une multitude d’observations physiques
qu’aucun savant ne contestera et c’est encore eux seuls que je reconnaisse pour
juges des conséquences que j’en tire, récusant ici tout homme à préjugés, et
qui n’est ni anatomiste, ni au fait de la seule philosophie qui est ici de
mise, celle du corps humain. Que pourraient contre un chêne aussi ferme et
solide, ces faibles roseaux de la théologie, de la métaphysique et des Ecoles :
armes puériles, semblables aux fleurets de nos salles, qui peuvent bien donner
le plaisir de l’escrime, mais jamais entamer son adversaire. Faut-il dire que
je parle de ces idées creuses et triviales, de ces raisonnements rebattus et
pitoyables, qu’on fera sur la prétendue incompatibilité de deux substances qui
se touchent et se remuent sans cesse l’une et l’autre, tant qu’il restera l’ombre
du préjugé ou de la superstition sur la
terre ? Voilà mon système, ou plutôt la vérité si je ne me trompe fort.
Elle est courte et simple. Dispute à présent qui voudra ! »
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