9 octobre 2015

L'Homme-machine, La Mettrie

Voici un texte qui me paraît éclairer notre présent. Nous avons oublié les enseignements ultérieurs, qui ont été révolutionnaire en leur temps. Aujourd’hui, ces sagesses peuvent nous aider à réfléchir notre présent, tout en remettant toujours en question les enseignements, ne pas se laisser aux préjugés et au traditionalisme. La Mettrie, philosophe du XVIIIe siècle, est un matérialiste athée, deux conceptions qui vont très souvent de pair. Ce sont les dernières pages de L’Homme-machine, son plus grand essai et le plus polémique. Dans cet extrait, il montre comment grâce à la raison et à l’expérience, la Loi naturelle apparaît comme la plus encline à mener l’homme au bonheur. Son énoncé le plus polémique est que l’homme est fondu dans la même matière que l’animal, mais que cette matière a été différemment modifiée. De cette conception, surgit un respect pour la Nature, et pour toute forme de vie. Voici l’extrait :  

« Qui pensera ainsi sera sage, juste tranquille sur son sort, et par conséquent heureux. Il attendra la mort sans la craindre ni la désirer, et chérissant la vie, comprenant à peine comment le dégoût vient corrompre un cœur dans ce lieu plein de délices ; plein de respect pour la Nature ; plein de reconnaissance, d’attachement et de tendresse, à proportion du sentiment et des bienfaits qu’il en a reçus, heureux enfin de la sentir et d’être au charmant spectacle de l’Univers, il ne la détruira certainement jamais dans soi ni dans les autres. Que dis-je ! plein d’humanité, il en aimera le caractère jusque dans ses ennemis. Jugez comme il traitera les autres. Il plaindra les vicieux, sans les haïr ; ce ne seront à ses yeux que des hommes contrefaits. Mais en faisant grâce corps, il n’en admirera pas moins leurs beautés et leurs vertus. Ceux que la Nature aura favorisés, lui paraîtront mériter plus d’égards que ceux qu’elle aura traités en marâtre. C’est ainsi qu’on a vu que les dons naturels, la source de tout ce qui s’acquiert, trouvent dans la bouche et le cœur du matérialiste des hommages que tout autre leur refuse injustement. Enfin le matérialiste convaincu, quoi que murmure sa propre vanité, qu’il n’est qu’une machine ou qu’un animal, ne maltraitera points ses semblables, trop instruit sur la nature de ces actions, dont l’inhumanité est toujours proportionnée au degré d’analogie prouvée ci-devant, et ne voulant pas en un mot, suivant la Loi naturelle donnée à tous les animaux, faire à autrui ce qu’il ne voudrait pas qu’il lui fît.

                Concluons donc hardiment que l’Homme est une Machine, et qu’il n’y a dans tout l’Univers qu’une seule substance diversement modifiée. Ce n’est point ici une hypothèse élevée à force de demandes et de suppositions : ce n’est point l’ouvrage du préjugé, ni même de ma raison seule ; j’eusse dédaigné un guide que je crois si peu sûr, si mes sens portant, pour ainsi dire, le flambeau, ne m’eussent engagé à la suivre, en l’éclairant. L’expérience m’a donc parlé pour la raison ; c’est ainsi que je les ai jointes ensemble.



                Mais on a dû voir que je ne me suis permis le raisonnement le plus vigoureux et le plus immédiatement tiré, qu’à la suite d’une multitude d’observations physiques qu’aucun savant ne contestera et c’est encore eux seuls que je reconnaisse pour juges des conséquences que j’en tire, récusant ici tout homme à préjugés, et qui n’est ni anatomiste, ni au fait de la seule philosophie qui est ici de mise, celle du corps humain. Que pourraient contre un chêne aussi ferme et solide, ces faibles roseaux de la théologie, de la métaphysique et des Ecoles : armes puériles, semblables aux fleurets de nos salles, qui peuvent bien donner le plaisir de l’escrime, mais jamais entamer son adversaire. Faut-il dire que je parle de ces idées creuses et triviales, de ces raisonnements rebattus et pitoyables, qu’on fera sur la prétendue incompatibilité de deux substances qui se touchent et se remuent sans cesse l’une et l’autre, tant qu’il restera l’ombre du préjugé  ou de la superstition sur la terre ? Voilà mon système, ou plutôt la vérité si je ne me trompe fort. Elle est courte et simple. Dispute à présent qui voudra ! »


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